Bonjour à toutes et à tous , toujours depuis Paris.
c joints deux articles:
- un qui présente la situation économique du Mali dans le contexte de mondialisation. Point de vue d'un responsable du syndicat agricole, (Ibrahim COULIBALY) qui "parle vrai", et qui nous aide à réfléchir à notre conception de la coopération
- un article paru dans "La Croix" et qui présente l'originalité de l’Église du Mali dans un environnement à majorité Musulmane.
Des articles que je vous propose, pour nous aider à POSITIVER face à la Crise politico-économico-militaro-religieuse que travers actuellement le pays.
On n’a pas le droit de nous dire :
«Vous mangerez
quand vous serez compétitifs ! »
Par
Ibrahim Coulibaly (25
octobre 2011)
Aucune « solution » proposée par la Banque mondiale ou le
FMI n’a sorti les paysans africains de la pauvreté.
« On est devenus encore plus vulnérables », affirme Ibrahim Coulibaly, représentant des
organisations paysannes du Mali, devant le Conseil de la sécurité alimentaire
mondiale le 21 octobre. Il expose les méfaits des plans d’ajustement structurel
menés par les institutions internationales. Et appelle à agir, enfin, car il
n’est plus possible d’attendre.
Il
y a près de quarante ans, quand j’étais tout petit, on ne parlait pas de
volatilité. Je me rappelle encore que notre gouvernement donnait des charrues,
des bœufs de labour, de l’engrais à crédit à nos parents. À l’époque, il y
avait un service public, l’OPAM, qui achetait les produits alimentaires aux
familles paysannes à des prix connus d’avance.
Il y a environ trente ans, j’étais au collège, on nous a
dit que c’était mieux de produire pour les marchés extérieurs et nous avons
commencé à entendre dans le discours de nos hommes politiques un terme…
«Détérioration des termes de l’échange », une véritable complainte à l’époque, mais qui n’a eu
d’écho nulle part. De quoi s’agissait-il ? En vérité, les prix des produits
agricoles d’exportation s’effondraient sur le marché international. Les
gouvernements d’alors avaient certes commis l’erreur fatale de pousser les
paysans à produire plus de produits d’exportation mais, quand cela a mal
tourné, seuls les paysans ont payé le lourd tribu.
L’effondrement
de nos économies et l’endettement public dans les années 1980 ont amené la Banque
mondiale et le Fonds monétaire international à mettre nos pays sous ajustement structurel.
On nous a dit alors que l’État était inefficace et que
nous devions donner plus de place au privé. En même temps, nos États étaient
obligés de s’endetter encore plus pour rétablir les équilibres
macroéconomiques. On nous a dit qu’il fallait couper tout soutien à
l’agriculture paysanne, qualifiée de non-performante, une véritable campagne de
démolition contre cette agriculture a alors été engagée par la Banque mondiale
et ses alliés
.
« On est devenus encore plus vulnérables »
On nous a dit de produire encore plus de produits de
rentes pour l’exportation, comme le coton, le café, les arachides, à des prix
très bas fixés à l’extérieur. Avec ces devises, on nous a dit d’acheter du riz
d’Asie ou de la farine et du lait en poudre d’Europe, qui aujourd’hui sont devenus
si volatiles. La descente aux enfers avait commencé pour les familles paysannes
et pour nos États surendettés et incapables de payer.
Puis on nous a dit de devenir compétitifs selon les
critères des institutions financières internationales, et que nos États
n’étaient plus autorisés à nous protéger. Tous nos tarifs douaniers ont été
démantelés et nos marchés ont été libéralisés, des produits alimentaires venus d’ailleurs
ont commencé à se déverser à bas prix sur nos marchés nous rendant encore plus vulnérables
à la volatilité des prix. Les habitudes alimentaires ont changé dans les villes
; les productions vivrières des familles paysannes ne pouvaient plus se vendre.
Ce phénomène a été aggravé en Afrique de l’Ouest par l’avènement de l’Union
économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) et son Tarif extérieur
commun, connu pour être le tarif douanier le plus faible dans le monde.
Mais aucune de ces « solutions » qui nous ont été
imposées ne nous ont sortis de la pauvreté. Pire encore, on est devenus encore
plus vulnérables. C’est dans un tel contexte que l’on demande à l’agriculture
familiale d’être performante.
Aujourd’hui, on doit subir de nouveaux enjeux qui nous
tombent du ciel. Le changement climatique, la spéculation financière, les
marchés internationaux imprévisibles, de nouvelles politiques de pays
développés qui nous accaparent nos terres pour faire des carburants. Mais par rapport
à cela, on ne nous dit plus rien. Pourtant c’est au cœur de la volatilité dont
on parle maintenant.
« La houe, contre le tracteur plus la
subvention »

Le haut panel d’experts devrait être mandaté pour faire
une étude sur l’efficacité de qui est mobilisé au nom des pauvres (quand
plusieurs centaines de millions de dollars sont mobilisés, combien arrivent
dans les champs des pauvres, aux femmes dont on parle tant ?). Vous serez étonnés
des résultats d’une telle étude. Ou peut-être pas du tout, parce que depuis le
temps qu’on mobilise tous ces millions en notre nom, nous serions tous riches
déjà.
Malgré tout cela, sans aides d’aucune forme, sans aucune
protection et avec tous les puissants du monde contre elle, l’agriculture
paysanne n’a pas disparu. Malheureusement, il a fallu la crise actuelle pour
que nos gouvernements reprennent conscience de la nécessité de la sécurité
alimentaire sur base de la production alimentaire au niveau national. Cependant
les solutions durables se font attendre.
« Nous ne pouvons plus attendre »
Pour solutionner ce problème de volatilité de prix, nous,
paysans, avec l’appui des autres acteurs de la société civile, pensons qu’il
est nécessaire de donner la priorité à nos marchés locaux, à l’intégration
régionale, plutôt que de laisser nos prix se faire dicter par ces marchés
internationaux lointains et imprévisibles. C’est la seule solution pour que
nous, paysans, puissions nous nourrir ainsi que nos communautés et nos villes.
Il faut arrêter toutes les formes de compétition entre
des agricultures et des modes de production ayant de très grands écarts de
productivité (la houe contre le tracteur plus la subvention, cela passe
difficilement). On n’a pas le droit de nous dire qu’on mangera quand on sera
compétitifs.
Il faut arrêter ces politiques qui viennent déstabiliser
nos agricultures paysannes. Quand il y a surproduction, nous subissons le
dumping. Quand il y a pénurie, nous subissons les restrictions des exportations
pour l’alimentation qu’on nous a dit de ne plus produire.
Il faut que nos gouvernements aient l’ambition de
politiques qui nous sortent de la pauvreté et de la misère, qu’ils protègent
nos agricultures paysannes des marchés volatiles et nous soutiennent pour qu’on
puisse investir pour nourrir nos populations.
On sait comment il faut faire. Des instruments existent
pour stabiliser les prix : des tarifs douaniers adaptés, des stocks
stratégiques à différents niveaux, mieux gérer l’offre et la demande, réguler
contre les spéculateurs… Au nom de quel droit l’Organisation mondiale du commerce
nous interdit-elle de le faire ?
Permettre aux paysans, aux femmes, aux groupes
vulnérables en milieu rural d’accéder réellement aux fonds mobilisés en leur
nom pour acheter du matériel agricole, des fertilisants, des semences, de créer
de la valeur sur leurs produits afin qu’ils puissent commencer à vivre dignement
de leur travail.
Pour finir, je voudrais
inciter chacun d’entre nous à méditer quand nous allons nous asseoir devant
nos plats de victuailles ce midi, à penser que des humains sont en train de
mourir en ce moment même de faim ou de malnutrition parce que des réunions
coûteuses sont organisées autour de leur sort sans que les actes qui pourraient
les sauver ne soient posés. Nous ne pouvons plus attendre.
Ibrahim Coulibaly,
président de la Coordination nationale des organisations
paysannes du Mali