Le Père Benoît
Lacroix a 100 ans (8 septembre 2015)
Un grand homme encore parmi nous. Alors qu’il célèbre aujourd’hui son 100e
anniversaire, le prêtre dominicain Benoît Lacroix – également historien, enseignant et
écrivain – partage sa vision réfléchie de la vie, de la mort, et son regard
critique sur la religion catholique. Entrevue avec un
religieux épris de liberté.
- Lorsqu’on vous a proposé
cette entrevue, vous avez dit : « Paraît-il que c’est mon anniversaire. » Ça
vous amuse d’avoir 100 ans ?
Oui, parce que tout le monde me rappelle ce
que je n’ai pas le droit d’oublier.
C’est un âge qui me surprend, même parfois je
ne crois pas avoir 100 ans, mais je les ai. Je ne vois pas beaucoup de gens
qui parlent de mes 100 ans sans se demander s’ils se rendront à cet âge.
C’est une chance que j’ai. Et je peux célébrer avec une certaine vigueur, je
peux en parler. Il paraît que je ne déraille pas trop ! (rires)
- Qu’est-ce que cet âge vous évoque ?
C’est un peu mystérieux. En s’approchant de
100 ans, on s’approche d’une échéance. On avance avec la certitude que ça ne
peut pas durer. En même temps, j’ai duré jusqu’ici, alors ça m’encourage à
penser positivement. J’ai 100 ans, pourquoi pas 101 ans ou 102 ans ?
Mais ce ne sera pas 200 ans. L’ambiguïté
d’avoir 100 ans est difficile à décrire, parce que tout le monde me félicite,
mais moi qui ai 100 ans, je sens que mon corps est moins agile. Je suis
dépendant de quelques pilules, de quelques visites au médecin, de quelques
examens périodiques pour la santé.
« La télévision est née… en 1950 ! J’avais déjà presque 40 ans. C’est un
monde ! »
- Comment entrevoyez-vous l’avenir ?
L’avenir est limité. Il y a la vie, la mort,
puis l’au-delà. Je suis un croyant. Ensuite, je suis un historien.
Je m’aperçois que les religions musulmane,
juive et chrétienne croient que ça ne finit pas avec la mort.
Ça m’impressionne, comme historien, cet
univers d’espérance pour toute l’humanité croyante, et je me dis : ça ne se
termine pas comme ça.
Je suis certain qu’il faut que ça continue. Ça
donne un élan ! Ensuite, j’ai accompagné tellement de gens en fin de vie que
je sais de quoi il s’agit.
Ce qu’on appelle la mort est un passage et non
pas une finale. Pour toutes les personnes marquées par la culture chrétienne,
ça va de soi. Mais beaucoup de gens ne sont plus capables de croire à ça,
parce qu’ils ont été blessés.
- Par la religion catholique ?
Plusieurs ont été trompés par la religion.
Elle a paru comme une morale mal ajustée à la société, surtout en matière
conjugale et sexuelle. La
religion a voulu mettre des lois et elle n’avait pas à le faire. Elle a fait
du zèle, elle a pris des risques et elle a éloigné beaucoup de monde.
Comme historien, je m’y attendais. Il faut
retrouver la liberté pour pratiquer une religion.
C’était dangereux de mettre des péchés au bout
de ça, avec l’enfer, le feu et le purgatoire. Ce n’était pas correct.
On voulait tellement avoir raison qu’on a
commencé à faire peur aux gens. Si on fait peur aux gens, on n’est pas dans
la bonne religion.
- Vous faites preuve d’une
ouverture d’esprit étonnante par rapport à l’image qu’on se fait de la
religion catholique…
J’ai beaucoup vécu avec les jeunes. Je les ai
accompagnés. J’ai fait beaucoup de funérailles de jeunes suicidés.
J’ai connu beaucoup d’étudiantes qui se
faisaient avorter. Quand on vit tout ça, on n’a pas envie de faire de morale;
on a envie d’aider. Il
faut faire confiance aux personnes, quelle que soit leur misère ou leur
erreur. Je n’ai pas du tout envie de juger qui que ce soit.
- Vous considérez-vous
comme progressiste ?
Je n’ai aucune idée si je suis progressiste ou
arriéré.
Devant une personne à qui il arrive toutes
sortes de choses et qui t’en parle comme si tu étais son frère, qu’est-ce que
tu fais ? Tu l’écoutes et tu l’aimes. Ce n’est pas le temps de dire: «Fais
pas ça.» Ce n’est pas par des discours qu’on aide des gens, souvent c’est par
notre présence, notre attitude.
- Que pensez-vous du pape François ?
Il est en train de brasser la cage, ça va
faire du bien. Il est très crédible. C’est un leader.
Il est ouvert, respecte la liberté, n’a pas
peur des autres, ne se gêne pas pour fraterniser avec des gens qui, en
principe, ne sont pas de son bord… C’est
très positif. Surtout, il ne moralise pas pour rien. Je voyais que les papes
n’en finissaient pas d’être contre l’avortement, de le répéter en citant le
pape précédent…
Ça m’énervait. Lui, il parle de l’importance
de la vie, c’est tout.
- Avec un nom comme
Lacroix, vous deviez être prédestiné à la religion ?
Pas du tout! J’avais une blonde que j’aimais
beaucoup ! C’est un choix qui s’est fait à mesure. J’avais 20 ans et elle
était belle, c’était dur ! (Rires) À
notre dernière rencontre, elle m’a dit : «Si tu veux faire un prêtre, fais un
prêtre. Et si ça marche pas, on fera des p’tits prêtres !» (Rires) J’ai reçu le don de la foi. Le Christ a inclus sa mort dans le
don de soi. Je suis en admiration devant lui, comme je le suis devant Gandhi
et Martin Luther King…
J’ai vécu 100 ans, Gandhi est mon
contemporain, Luther King est de mon temps. Ces gens ont donné leur vie.
- Pourquoi êtes-vous allé chez les Dominicains
en particulier ?
Ça, c’est purement superficiel! Je ne voulais
pas vivre comme les prêtres séculiers, seuls dans les presbytères, ça ne
m’apparaissait pas normal. Je
voulais trouver une place avec un esprit familial. Chez les Dominicains, il y
a beaucoup de liberté et en même temps beaucoup de cohésion.
Et les gens étudient beaucoup. Je n’ai pas
choisi, je suis allé voir. Ce n’est pas une vocation brillante mon affaire,
je me suis laissé porté par les circonstances. J’y suis entré en 1936 et je suis bien ici. J’y ai appris la vie.
- Vous optimiste, qui voit le beau plutôt que le
laid, le bon plutôt que le méchant.
Comment faites-vous pour
rester émerveillé après toutes ces années?
Je suis très optimiste
parce que je suis très marqué par la nature.
Dans la nature, la
lumière est plus forte que les ténèbres, le jour est plus fort que la nuit,
l’arc-en-ciel est plus fort que tous les orages, le tonnerre et les éclairs,
le bien est plus fort que le mal, l’amour est plus fort que la haine…
À propos de…
* La mort : «Je n’ai pas
peur de la mort, je l’ai côtoyée beaucoup autour de moi. Je la trouve
normale, acceptable.
Pour moi c’est un
fait, une situation normale de l’existence humaine.»
* La nature : «Je suis
très près de la nature. J ’ai été éduqué avec et par la terre, chez des
cultivateurs.
J’ai vécu près des
Amérindiens, pour qui la nature est presqu’un Dieu. Je crois qu’elle m’aide à
faire face à la vie.»
* La sexualité : «Il faut
en parler, sans aucun doute. Ça fait partie de l’expérience personnelle, il
ne faut pas mettre du mal là-dedans.»
* L’amour : «Les gens
me demandent souvent: “Comment faites-vous, vous ne faites pas l’amour?” Non,
mais on n’en finit pas d’aimer. Je ne manque pas d’amour.»
* Côte-des-Neiges : «Une grande richesse»
Benoît Lacroix vit au couvent des frères dominicains Saint-Albert-le-Grand,
dans le quartier Côte-des-Neiges.
«Il y a là la vie multiethnique à son meilleur, dit-il.
Pendant l’été souvent,
je vois la femme musulmane intégriste habillée, pour nous, de façon
démesurée, à côté de la petite qui est presque en bikini, et personne n’a
l’air de s’étonner et, surtout, personne n’a l’air de juger l’autre. C’est
une grande richesse. Une richesse sociale.»
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